La légende du chanteur rebelle  Alors, bien sûr, même s'il ne fut pas réellement engagé politiquement au sens où on l'entend de nos jours, Bob Dylan reste néanmoins l'archétype du chanteur rebelle, que ce soit par son état d'esprit ou son attitude. Mais sur le fond, c'est faux, suis-je obligé de répondre ! Car dès son premier album en 1962, il s'est inscrit dans la lignée des illustres folk-singers américains qui chantaient l'épopée de la génèse de leur pays, avec ses pionniers anonymes et ses bandits fameux, à la manière des troubadours relatant la geste des héros du haut Moyen Age. Lorem Ipsum Dolor Le mythe du protest-singer   Tout d'abord, Monsieur Zimmerman est tout sauf un chanteur engagé. Pourtant, on le considère encore aujourd'hui comme un des pionniers du mouvement anti-guerre du Viet-Nam outre- Atlantique. Sont ainsi cités pour l'occasion deux chansons extraites de son second album The Freewhellin' Bob Dylan (1963) : Masters of War et A Hard Rain's a-Gonna Fall. C'est une erreur ! Car la première, écrite avant que les Américains attaquent le Nord Viet-Nam, dénonce le complexe militaro-industriel américain, et la seconde évoque "camusiennement" la terreur nucléaire post-Hiroshima et non le napalm ou autre agent orange.   De plus, il n'y a aucune occurrence du conflit viet-namien dans les paroles et interviews de Dylan à cette époque. Malgré tout, la presse suivie par le public voit dans des chansons dénuées de toutes références poltiques le renouveau de la protest-song et proclame héritier de Woody Guthrie un jeunot de 22 ans à peine débarqué de son Minnesota natal. Les bases du malentendu sont posées.   Mais l'auteur de Blowin' in the Wind n'a pas l'âme d'un artiste contestataire. Certes, il participe en cette même année 1963 au Mouvement des droits civiques et chante à l'occasion de la Marche vers Washington. Toutefois, il est loin d'en être le leader et c'est sous l'influence de sa compagne d'alors, la chanteuse militante Joan Baez, qu'il prend part à un mouvement qu'il quitte d'ailleurs assez vite.   Car Bob Dylan n'est pas du genre à mobiliser de son propre chef une foule pour servir une cause. Lorsqu'il "s'engage" c'est toujours en suivant le mouvement. Il est avant tout un solitaire, un vagabond. Un chanteur plus proche de la figure mythique du cow-boy que d'un Yannick Noah pieds nus chauffant la salle d'un congrès politique. Dès 1964, voulant en finir avec cette encombrante image de protest-singer, Dylan rompt avec la tradition folk du storytelling. Influencé par le surréalisme, ses textes se colorent d'une teinte onirique et annoncent le courant psychédélique.   Ce n'est que quelques années plus tard, après des incartades avec la country et la variété, que Bob Dylan publie des chansons authentiquement "contestataires" ou "engagées". Elles sont au nombre de trois : George Jackson (1971), hommage au membre des Black Panthers du même nom assassiné par des gardes en prison ; Hurricane (1976), plaidoyer en faveur de la libération du boxeur Rubin Carter condamné pour triple meurtre ; et Neiborhood Bully (1983) profession de foi sioniste en soutien d'Israël deux ans après le bombardement d'une centrale nucléaire en Irak. Soit trois protest-songs écrites et composées hors de la période 1961-1966 qui, pourtant le consacre protest-singer devant l'Eternel. Trois protest-songs parmi un demi-millier de chansons écrites et composées en cinquante ans de carrière. C'est dire l'ampleur du malentendu ! En 1966, alors que les mouvements contestataires, notamment en milieu estudiantin, prennent de l'ampleur avant d'exploser deux ans plus tard, Dylan lui, implose. Nonobstant son acharnement à détruire l'image que lui colle le public –il a en effet quitté la folk pour le rock et la pop–, la jeunesse occidentale s'évertue à reconnaître en lui son prophète. Le 26 juillet, il manque de se tuer à moto. Il décide de se retirer de la vie publique et arrête la scène.     "Je n'étais le porte- parole de rien ni de personne, [...] j'étais seulement un musicien" *     Depuis la fin des années 60, le Zim' se tient en retrait de la vie publique, c'est-à-dire des médias. Ni contestataire ni rebelle, il écrit et compose ses chansons à l'instar d'un artisan. Puisant dans les multiples catégories du répertoire musical traditionnel américain –folk, country, blues, gospel, rock, jazz– il poursuit à son rythme son oeuvre de troubadour qui, loin d'être figée dans un carcan passéiste, tend à maintenir en vigueur une matière dont il a le plus profond respect. A 70 ans, Bob Dylan prépare un nouvel album influencé par la musique mexicaine. Le malentendu qui le frappe n'est hélas pas prêt d'être dissipé à une époque qui a tôt fait de considérer Manu Chao comme le fils spirituel de Béranger.   * Bob Dylan, Chroniques, 2005, Gallimard, coll. Folio Lorem Ipsum Dolor Réalisé par Mario SALIS ©INMUSICA.FR