Une histoire puisée dans les Contes des Mille et une nuits

Le sultan Shahriyar, persuadé de la fausseté et de l'infidélité des femmes, tue celles qu’il épouse. La jeune Shéhérazade, fille aînée du grand Vizir, lui raconte chaque soir une histoire qui le tient en haleine suffisamment pour qu’il n’ait pas envie de la tuer. Envahi par la curiosité, il désire à chaque fois connaître la fin de l’histoire captivante que lui raconte la jeune femme. Ce sont les fameux Contes des Mille et une nuits. Shéhérazade  réussit ainsi à retenir l’attention du roi durant les nuits de trois années consécutives ! Le roi, séduit, finit par la garder auprès de lui. 

L’histoire de Shéhérazade vue par Rimski-Korsakov

"Vers le milieu de l'hiver, parmi les travaux sur le Prince Igor et diverses autres choses, j'eus l'idée d'une pièce d'orchestre d'après certains épisodes de Shéhérazade (...) C'est avec ces projets et avec les esquisses musicales correspondantes que je partis avec ma famille, l'été venu dans une datcha près du lac Tcheremenetski. Au cours de l'été 1888 à Nejgovitsy, je terminai Shéhérazade." Rimski-Korsakov

"Pourquoi ai-je donc intitulé ma suite Shéhérazade? Parce que ce nom, ainsi que le titre des Mille et une nuits, fait naître en tout un chacun des images de l'Orient et de ses merveilles fabuleuses, et qu'en outre certains détails du discours musical font allusion au fait que tous les récits proviennent d'une seule et même personne, cette Shéhérazade, qui a su captiver ainsi la curiosité de son redoutable époux". Rimski-Korsakov

Caractéristiques des thèmes musicaux

Rimski-Korsakov illustre le récit exotique de Shéhérazade en choisissant avec soin les thèmes et les instruments qui dépeindront chacun des mouvements :

Le premier mouvement présente à l'auditeur les deux personnages principaux de l'œuvre : Shéhérazade et le Sultan. Pour les illustrer musicalement, Rimski-Korsakov fait appel à deux thématiques au caractère radicalement opposé.

Le thème illustrant le personnage du Sultan, dévoile le caractère autoritairede ce-dernier. Interprété massivement par les cuivres et les cordes gravesdans une nuance fortissimo, le thème du Sultan est caractérisé par unephrase descendante jouée à l'unisson. Le danger que représente celui-ci pour Shéhérazade est donc illustré par l'instrumentation ainsi que le phrasé.

Enoncé au violon solo dans le registre aigu, le thème de Shéhérazade se rapproche du récitatif. Telle une vocalise, la mélodie déployée par le violon, semble hors du temps. Cette courbe sinueuse, rendue notamment par le recours à des notes conjointes, tourne sur elle-même, non sans rappeler les mouvements d'une danseuse. C'est alors tous les parfums de l'Orient qui sont à l'honneur.

Ce thème, tel un leitmotiv, revient de manière récurrente tout au long de l’œuvre.

De par leurs profils thématiques, les motifs de Shéhérazade et du Sultan, révélant les caractères de chacun, sont à l'opposé : la douceur de Shéhérazade contraste avec la brutalité du Sultan.

La mer, troisième "personnage" de ce mouvement, est figurée par un mouvement continu aux cordes qui déroulent des arpèges et évoquent le rythme des vagues.

Dans le deuxième mouvement, le thème de Shéhérazade, toujours accompagné par la harpe, est à nouveau entendu : la jeune femme va raconter cette fois une autre histoire, celle du Prince Kalender. La "voix" de Shéhérazade s'éteint alors pour laisser place au thème du prince. Celui-ci se propage progressivement aux différents pupitres. Initialement annoncé par le basson, il est ensuite repris au hautbois, aux cordes puis par tout l’orchestre. Par sa simplicité mélodique et rythmique ainsi que par safraîcheur naturelle, ce thème nous plonge dans l'univers populaire :

Un second thème est entendu au centre du mouvement, interprété par lescuivres : il s’agit d’un thème martial et  conquérant. Le thème du prince est ensuite réentendu, cette fois à la clarinette. Les deux thèmes sont alternativement utilisés par le compositeur, jusqu’à un crescendo final de tout l’orchestre.

Le troisième mouvement intitulé "Le jeune prince et la jeune princesse" est plus romantique. Alors que l'usage des violons et du phrasé legatocontribue à créer une atmosphère de tendresse, la mise en place d'une rythmique proche de la barcarolle plonge l'auditeur dans une atmosphèredansante.

Après le tutti de l’orchestre, le thème de Shéhérazade est entendu encore une fois. Le thème du Sultan n'apparaît pas : ce dernier serait-il définitivement envouté par le charme de Shéhérazade ?

Le quatrième mouvement remet en scène les différents thèmes entendus dans les mouvements précédents. Le retour de ces motifs, qui ne cessent de s'entrelacer et d'apparaître sous un éclairage différent, rejoint l'idée desContes des milles et une nuit lors desquels tous les récits s'entremêlent. Tout à coup, la voix de Shéhérazade nous apparaît dans l'extrême aigu, de manière très étirée. Cette souplesse traduit sa liberté enfin acquise. En trame de fond, le thème du Sultan refait surface mais cette fois-ci, de façon très apaisée. L'œuvre s'achève pas un puissant élan de tout l'orchestre.

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